Pratique ancestrale, le jeu de billes ne vit pas reclus aux côtés d’autres distractions délaissées par les écoliers une fois l’effet de mode passé. Il continue au contraire à jouir d’une belle vitalité dans les cours de récréation.
À l’heure du tout internet, l’école élémentaire a des allures de sanctuaire. Des jeux ancestraux continuent d’y faire recette, peut-être préservés par le fait que l’achat du premier téléphone portable coïncide plutôt avec l’entrée au collège. La concurrence vient parfois de loisirs qui repartent comme ils sont venus une fois l’effet de mode passé, comme le hand spinner dernièrement, mais certaines activités restent indémodables dans les cours de récréation. On peut penser au football, mais aussi et surtout aux billes. Les variantes ne manquent pas, qu’il s’agisse de “dégommer” celle du concurrent pour s’en emparer ou d’être le premier à envoyer la sienne à un endroit donné, généralement un trou creusé dans le sol.
« Les billes font partie des jeux qui traversent le temps. Ce n’est pas notre activité première, mais le fait d’avoir diversifié la gamme a boosté les ventes », constate Philippe Teyssier, à la tête de l’enseigne stéphanoise Au Tapis Vert. « Depuis 20 ans que je suis dans le commerce, elles se sont toujours bien vendues, même si la situation actuelle complique un peu les choses, confirme Jean-Michel Perrin, gérant des établissements JouéClub de Montbrison et Andrézieux-Bouthéon. C’est un loisir intemporel, unisexe, accessible financièrement pour les parents et bien accepté par les enseignants aussi parce que leur valeur est moindre, ce qui limite les risques de vol. »
« Toutes les civilisations y ont joué »
« La bille, c’est complètement universel, toutes les civilisations y ont joué à un moment ou un autre, sous diverses formes et avec des objets sphériques de différentes compositions ou tailles », assure Rémi Salon, bon connaisseur. Il a effectivement été l’un des derniers agents à en fabriquer dans la Drôme, territoire historique en la matière, on le verra, avant de créer l’association L’Usine à billes et de partager un temps ses connaissances autant que sa passion sur le site internet chiquenaude26.blogspot.com.
« Les premières traces écrites remontent à Ovide, un poète latin qui décrit une tranche de vie et des jeux d’enfants auxquels ils s’adonnaient avec des noix et d’autres objets proches de la sphère tels que le crottin de chèvre. Tout cela s’est transmis jusqu’à nos jours par tradition orale, des plus grands aux plus petits », rappelle-t-il. Avant d’ajouter que, en France, tout se passe d’abord à l’Est, où l’on fabrique de la mitraille, des billes en pierre à vocation industrielle : « En 1871, le traité de Francfort autorise les Alsaciens à émigrer dans le reste de la France métropolitaine avant l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Alexandre Barral va en faire venir dans la Drôme et, par la même, importer leur savoir-faire. »
Au sud de la région, l’idée germe de colorer et vendre les billes comme jeu, mais leur production coûte cher car la fabrication à base d’argile et de glaise nécessite une cuisson. La solution émerge durant l’entre-deux-guerres. « Le changement d’usine et de process, avec l’agrégation d’un mélange de chaux et de ciment autour d’un grain de sable, permettent de produire un plus gros volume », retrace Rémi Salon. Peu à peu, l’industrialisation et le commerce global, avec notamment des modèles venus d’Asie, vont avoir la peau du secteur. Après divers rebondissements, la dernière entreprise finit par changer de propriétaire et de département en 2009 pour s’installer en Haute-Vienne. Où Bille en brousse ferme ses portes huit ans plus tard.
La production française relancée
Cela marquait la fin de la fabrication de billes en terre en Europe… jusqu’à ce que Gaël Mauron reprenne le flambeau. Celui qui y a beaucoup joué, enfant, s’approvisionnait régulièrement auprès de Bille en brousse pour les besoins de Concept bois & jeux, fabricant de jeux en bois né en 2013. « Il y a quelques années, quand j’ai voulu refaire du stock, j’ai cherché sur internet auprès de qui d’autre m’approvisionner, sans succès », raconte le chef d’entreprise, qui a commencé à envisager de fabriquer ses propres billes « par besoin plus que par envie ».
Ne parvenant pas à joindre les ultimes dirigeants de son ancien fournisseur, il a sollicité le précédent propriétaire : « Yves Renou m’a expliqué la méthode et informé qu’il possédait encore deux vieilles machines, qu’il était prêt à me céder pour relancer la production de billes. On a beaucoup tâtonné et fait des essais jusqu’à arriver à un résultat acceptable. »
Depuis, Concept bois & jeux propose des paquets de billes made in France pour les particuliers et les professionnels sous la marque Bille en May’. « Je suis satisfait, ce n’est pas une production gigantesque, mais bien complémentaire de nos activités, observe Gaël Mauron. Ça prend bien, même si c’est parfois compliqué car long à produire : il faut passer six heures devant la machine, puis il y a la peinture. Quand on lance une série, ça nous bloque la journée. » L’entreprise basée en Mayenne contribue ainsi à perpétuer une tradition bien ancrée à divers endroits de la planète.
« Les billes sont très populaires en Angleterre, aux États-Unis, mais aussi au Japon où le goulot de certaines canettes de soda contient une bille en verre que les enfants récupèrent pour jouer », informe Rémi Salon. Qui cite aussi l’appétence des Tchèques, organisateurs de championnats du monde à fréquence variable. Enfin, on peut compter sur des passionnés pour renouveler l’intérêt du grand public. Les courses sur circuit ont, par exemple, profité du premier confinement pour s’offrir une belle exposition. Au point que des vidéos cumulent des milliers voire des millions de vues sur YouTube ! Les billes n’ont pas fini de rouler.
Franck Talluto
Jeux d’enfants et Covid-19
En ces temps de Covid-19, la vie continue… et les jeux d’enfants aussi, tout en se conformant au protocole sanitaire national. Les activités pratiquées dans les cours de récréation s’inscrivent dans le respect des gestes barrières. En gros, on peut continuer à jouer aux billes, mais seulement avec les copains et copines de sa classe. En école élémentaire (comme au collège et au lycée), en plus du port du masque, « le principe est la distanciation physique d’au moins 1 mètre dans les espaces clos, lorsqu’elle est matériellement possible, entre l’enseignant et les élèves ainsi qu’entre les élèves quand ils sont côte à côte ou face à face. Elle ne s’applique pas dans les espaces extérieurs entre élèves d’une même classe ou d’un même groupe, y compris pour les activités sportives (mais) doit être maintenue, dans tous les cas, entre les élèves de groupes différents (classes, groupes de classes ou niveaux) », explique la direction des services départementaux de l’Éducation nationale, relayant les explications du conseiller de prévention départemental.
En temps “normal”, les jeux font déjà l’objet d’une réglementation. « L’institution scolaire assume la responsabilité des élèves qui lui sont confiés. Elle doit veiller à ce qu’ils ne soient pas exposés à subir des dommages et n’en causent pas à autrui », explique-t-elle. Reconnaissant toutefois qu’ « il est impossible d’établir une liste exhaustive des objets dangereux surtout que certains objets, jeux ou jouets ne (le) sont pas par nature mais peuvent le devenir par destination ». En complément du règlement intérieur, « qui dresse la liste des objets dangereux prohibés », chaque directeur·trice d’établissement peut ainsi prendre des mesures complémentaires.
F.T.