« On trouve de tout ici, même de la fourme de Montbrison ! »

« On trouve de tout ici, même de la fourme de Montbrison ! »
© Sylvain Perret

Il est 8h30 à Orlando – le début d’après-midi en France – quand Sylvain Perret apparaît à l’écran, sourire aux lèvres. Le natif de Chazelles-sur-Lyon avait déjà dit, à la prise de contact, qu’il partagerait volontiers son expérience d’expatrié, lui qui n’avait « pas particulièrement » le rêve américain avant de s’y installer il y a bientôt quinze ans. Le tournant date de 2007, lorsque ce directeur d’agence bancaire à Andrézieux-Bouthéon est muté en Guadeloupe. Trois ans plus tard, les Perret refont leurs bagages, mais pas pour la métropole. Entretemps, ils ont profité de la proximité avec le pays de l’Oncle Sam pour le découvrir. 

Le tournant date de 2007, lorsque ce directeur d’agence bancaire à Andrézieux-Bouthéon est muté en Guadeloupe. Trois ans plus tard, les Perret refont leurs bagages, mais pas pour la métropole. Entretemps, ils ont profité de la proximité avec le pays de l’Oncle Sam pour le découvrir. La première fois, les Ligériens y débarquent juste après la crise des subprimes et trouvent l’immobilier accessible : « On s’est dit qu’il y avait peut-être des affaires à faire et on a commencé à trouver la vie à Orlando agréable. La graine était semée, d’autant que je ne me voyais pas exercer mon métier pendant encore 20 ans. » Depuis, par les hasards de la vie et les rencontres, Sylvain est devenu courtier en vente d’entreprises et en immobilier. Cela consiste à accompagner des personnes désireuses d’acheter des entreprises dans son pays d’adoption et les Français représentent environ la moitié de la clientèle.

« Il faut oublier les cinq semaines de congés payés, l’arrêt maladie ou les allocations chômage. Si on vient ici (en Floride), c’est pour bosser »

Il estime avoir réussi professionnellement au-delà de ce qu’il aurait pu espérer dans l’Hexagone. Constat à mettre en perspective car la Floride, actuellement en proie aux ouragans, est « l’un des Etats dans lesquels il y a le moins de lois, avec tous les excès que cela implique ». « Il n’y a pas d’impôt sur le revenu, mais pas de contrat de travail non plus. Il faut oublier les cinq semaines de congés payés, l’arrêt maladie ou les allocations chômage. Si on vient ici, c’est pour bosser », renseigne-t-il sur ce marché de l’emploi en pleine mutation : « La révolution industrielle a changé le monde du travail pour les cols bleus ; à présent, l’intelligence artificielle est en train de bousculer celui des cols blancs. »

Dans cette même logique de comparaison, l’ancien banquier passe au système de santé. Lequel s’est beaucoup amélioré avec la mise en place du PPACA (Obamacare) il y a une décennie, mais consulter un généraliste lui coûte tout de même 75 dollars malgré son assurance santé. « Si je dis à un Américain que, en France, on peut voir son médecin traitant sans pratiquement rien débourser, il ne me croira pas », assure-t-il, pointant « des excès des deux côtés ». Et de citer l’un de ses adages favoris, signé de l’écrivain Sylvain Tesson, selon lequel « la France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ». « Je pense aussi que, par endroits, les Américains vivent en enfer, persuadés qu’ils vivent au paradis », complète le Forézien.

Le coût de l’éducation, « un gros cliché »

Son épouse Daphnée et lui sont arrivés sur le sol yankee avec trois enfants de 5, 8 et 11 ans. Une porte d’entrée idéale pour parler d’éducation. Penser qu’étudier aux États-Unis coûte une fortune est « un gros cliché », selon lui : « C’est vrai si vous allez à Harvard ou au MIT (Massachusetts institute of technology, NDLR), mais cela concerne une minorité d’étudiants et c’est pareil en France avec HEC. » Les bourses scolaires, les scholarships, sont distribuées au mérite et non en fonction des revenus des familles, atteste-t-il. « J’ai une fille qui possède un master, une autre qui a obtenu un bachelor et mon fils vient d’entrer à l’université. Pourtant, je ne sais pas ce que c’est de payer leur scolarité car nous avons eu la chance d’avoir des enfants qui ont travaillé dur », applaudit-il.

Dans la continuité, Sylvain Perret pointe une autre différence notable : l’attitude vis-à-vis de la réussite. « Ici, il n’y a pas de jalousie. Au contraire, les bons élèves reçoivent des awards en fin de trimestre et les autres enfants les applaudissent. De même, on les pousse vers l’initiative », apprécie-t-il. La discussion dévie sur l’apprentissage de l’anglais dans l’Hexagone, régulièrement dénigré. « C’est vraiment dommage parce qu’on est certainement l’un des pays où l’on commence à apprendre des langues le plus tôt. Les Américains, par exemple, doivent attendre le lycée », signale celui qui cible la peur du ridicule. « En classe, si vous essayez de parler avec un accent anglais, les autres se moquent de vous. Je peux en parler car je l’ai vécu, c’est une catastrophe », souffle ce passionné de la langue de Shakespeare, qui a débarqué en Floride avec un bon niveau grâce à des séjours réguliers en Irlande.

Ce n’est pas toujours le cas des personnes de sa génération comme il le remarque dans son quotidien professionnel, mais il affirme que l’accès à davantage de contenus en anglais grâce aux plates-formes comme YouTube et les séries éveillent l’oreille des jeunes générations. « Lire et comprendre l’anglais, on y arrive tous. La difficulté, c’est quand il faut répondre », poursuit celui qui loue la clémence des locaux : « Tant que vous êtes compris et comprenez ce qu’on vous dit, personne ne se moquera. Les États-Unis sont un pays d’immigrants, où l’on entend tous les accents du monde. »

Le traumatisme des armes

Quand on évoque cette nation, deux thèmes émergent instantanément : la politique et les armes. Celles-ci constituent « un vrai problème » pour Sylvain Perret, qui a failli rapatrier sa famille en France à deux reprises. Il y a d’abord eu la tuerie de l’école primaire Sandy Hook (26 morts dont 20 enfants, NDLR) en 2012, puis une attaque contre un lycée de Floride dont sa fille avait croisé certains élèves la veille lors d’un concours d’éloquence. « Les gens sont armés, c’est une réalité. Vous avez le droit de tirer si quelqu’un entre chez vous… » rappelle-t-il. Les Etats-Unis affichent un taux de morts par arme à feu par habitant « nettement plus élevé que dans les autres pays industrialisés », confirme Amnesty international, qui a relevé le nombre record de 683 fusillades de masse en 2021. Sylvain Perret voit les partisans des armes se retrancher derrière le deuxième amendement et soutenir que le problème n’est pas l’arme, mais la personne qui la tient. « Sauf que les tireurs ne sont pas repérés… » pointe notre homme, choqué par la réponse de certains républicains qui veulent armer les professeurs pour défendre les élèves : « C’est un métier compliqué, avec beaucoup de dépressions. Le risque, c’est qu’un jour, l’un d’eux craque et tire sur sa classe. »

La transition est toute trouvée pour parler politique avant la présidentielle début novembre. « Les Américains partagent très facilement leur orientation, poussent leur candidat avec des t-shirts, des autocollants », indique l’entrepreneur. Lui-même a installé devant son domicile des pancartes en faveur de Kamala Harris quand, en face, un voisin affiche son soutien à son concurrent dans la course à la Maison Blanche. Une autre distinction avec la France et son secret de l’isoloir, mais qui lui convient.

Le temps file et, malgré son maillot bleu frappé du drapeau tricolore, notre interlocuteur répond sans hésitation à l’ultime question. « Au départ, nous pensions juste rester trois, quatre ans pour vivre une expérience et améliorer notre anglais. Chaque année, nous passons un mois par an dans le Forez, mais je ne pense pas que mon épouse et moi reviendrons définitivement. Tout dépendra d’où vivent nos enfants », lâche-t-il après plus d’une heure de discussion. Les proches leur manquent, bien sûr. Pour le reste… « On trouve absolument de tout ici, même de la fourme de Montbrison ! » s’amuse le Chazellois. Preuve de son ancrage, le couple a ouvert un second bureau du côté de Washington DC, en Virginie, ce qui a rapproché ces amateurs de balades à moto des montagnes des Appalaches.

Franck Talluto

(1) L’une des coopératives constitutives du groupe Sodiaal.

Les suggestions de Sylvain Perret
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Les suggestions de Sylvain Perret

Selon le Ligérien de naissance, l’Orégon (au Nord-Ouest) est le plus bel État d’Amérique, avec ses parcs nationaux et une ville comme Cannon Beach, aperçue dans le film Les Goonies. Sylvain Perret aime aussi le Sud, notamment la Géorgie et sa capitale, Atlanta, ou Savannah, qu’il trouve plus authentique et jolie que La Nouvelle-Orléans (Louisiane). Il mentionne également Raleigh, en Caroline du nord, régulièrement cité parmi les villes où il fait bon vivre. En Floride, il recommande Orlando et Saint-Augustine, mais pas Miami, « trop jet-set » aux yeux de celui qui adore New York et son ambiance, contrairement à San Francisco et Las Vegas.